Appel à communication

 

PROLONGATION de l'appel jusqu'au 30 mai 2022

 

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Introduction

La nuit constitue-t-elle un moment spécifique de la vie urbaine ? Telle est la question à laquelle tentent de répondre les night studies. L’intensification progressive des activités en soirée met en avant des continuités entre le jour et la nuit, mais le passage de l’un à l’autre reste un processus discontinu. La rupture introduite par l’obscurité est associée tour à tour aux angoisses, à la solitude, à la poétique ou à l’agitation. S’y ajoutent des représentations sociales et des activités particulières relevant du repos, de la sociabilité ou des loisirs, mais aussi du travail et de la survie. Les lieux et quartiers animés diffèrent également la nuit par rapport à la journée et produisent des territoires morcelés : alors que la fréquentation des quartiers d’affaires diminue, celle des quartiers festifs augmente et les quartiers résidentiels sont marqués par un repli sur les espaces privés.

Souvent considérée comme une temporalité porteuse de risques et de dangers, la nuit constitue également un moment d’opportunités en ville, privilégié pour les sorties culturelles et de loisirs, les rencontres sociales et les activités festives. Pour d’autres, l’accès au ciel étoilé (Challéat, 2010) constitue une ressource à préserver, et la nuit est synonyme de calme, de repos ou de rêveries (Paquot, 2000). L’accès à ces différentes ressources n’est toutefois pas équivalent pour l’ensemble des individus : différents facteurs liés aux régimes de représentations, aux ressources socio-culturelles ou économiques, à l’éloignement réel ou figuré du lieu de résidence, à l’âge comme au sexe, etc., induisent de fortes différences d’appétence, et des inégalités d’opportunités et d’accès à ces activités. Ce colloque propose ainsi d’étudier ces opportunités et risques offerts par le temps nocturne, tout en portant une attention particulière aux conditions d’accès à ces ressources ou dangers et à leur (in-)égale répartition au sein de la société. En quoi ces inégalités temporelles viennent-elles renforcer les inégalités sociales et spatiales déjà observées ?

Cet appel encourage pleinement les travaux portant sur les usages non-festifs des espaces nocturnes, d’habitat ou de travail par exemple, ainsi que sur les usages des espaces périphériques, qu’il s’agisse de quartiers résidentiels, de quartiers prioritaires de la ville ou de zones commerciales. Il sera également particulièrement attentif aux travaux portant sur les espaces non métropolitains, telles les villes intermédiaires, moyennes et petites, ou encore les espaces ruraux. Loin de considérer la nuit comme une temporalité linéaire et homogène, cet appel invite à être attentif aux distinctions pouvant exister selon les différents moments et espaces de la nuit.

 

Quatre axes (non exhaustifs) de réflexion sont proposés :

 

Axe 1 : La vie nocturne : pratiques sociales, usages de l’espace et vécus différenciés

 

Cet appel propose dans un premier temps de s’intéresser aux différentes pratiques sociales et aux usages nocturnes de l’espace. Plusieurs recherches ont déjà souligné la forte homogénéité sociale des sortants dans les établissements festifs nocturnes, volontairement entretenue par une partie des gérants (Deleuil, 1994 ; Chatterton et Hollands, 2003), qui peut générer des phénomènes d’exclusion sociale. Ces établissements sont principalement fréquentés par des personnes jeunes, blanches (Chatterton et Hollands, 2003 ; Schwanen et al., 2012), en études ou diplômées du supérieur (Raphélis, 2022). Le développement important des activités nocturnes dans certains quartiers peut également engendrer des phénomènes de gentrification et exclure ainsi plus largement les individus les moins aisés de ces quartiers (Guérin, 2018 ; Jeanmougin, 2018). Au-delà des différences d’usage, c’est plus largement le vécu que les individus ont des espaces nocturnes qui pourra être interrogé, en tenant compte des émotions qu’ils éprouvent.

Dans le cadre de ce colloque, nous proposons de prolonger ces réflexions en nous intéressant aux différentes pratiques sociales nocturnes, festives et non-festives, étudiées sous l’angledes rapports socio-économiques, racisés, générationnels et de sexe (Buford May, 2014 ; Gaissad, 2020 ; Deschamps, 2006). Il s’agit également d’étudier les différences de pratiques selon les espaces, tant ceux concernés par les activités nocturnes que les espaces de résidence. Comment se manifestent et s’expliquent les différences de pratiques ? Quels sont les rythmes et lieux de ces liens sociaux et comment les liens et dé-liaisons sociales sont-ils configurées à différentes échelles ? Qu’est-ce qui fait lien social de nuit et permet de se sentir affilié à un groupe social ? Comment sont vécues les nuits selon la position dans le cycle de vie et la trajectoire sociale des individus ? En quoi les représentations sociales des acteurs produisant les activités nocturnes modifient-elles les systèmes de croyance ?

L’étude et le débat sur l’exclusion sociale et spatiale ont été largement documentés au cours des décennies précédentes (Paugam, 1996 ; Mathieu, 1997 ; Bailly, 1997, Steck, 1998, Atkinson, 1998) créant un champ d’études régulièrement renouvelé depuis (par exemple, Donzelot, 2009 ; Schwanen et al., 2012 ; Boltanski, 2014). Ces formes de repli forcé se distinguent-elles la nuit ? S’étendent-elles à d’autres domaines et espaces ? Observe-t-on un report des personnes exclues des activités festives sur d’autres activités ou espaces plus marginaux ?

 

Axe 2 : Les évolutions des nuits urbaines à court et à long terme

 

Cet appel propose également de revenir sur les évolutions historiques qu’ont connu les nuits urbaines, de la mise en place de couvre-feu au développement des loisirs et services au cœur de la nuit (Melbin, 1978 ; Gwiazdzinski, 2005). Ces évolutions demandent à être précisées : quelles activités sociales en particulier se sont développées ou ont régressé, voire disparu ? Ces changements ont-ils renforcé ou amoindri les situations de distinction et d’exclusion socio-spatiales existantes ?

À plus court terme, la pandémie de la Covid-19 a également généré un certain nombre de transformations. Les mesures sanitaires associées à cette pandémie ont limité les activités dynamisant habituellement le cœur de la nuit. Les périodes de couvre-feu en particulier ont-elles induit une transformation persistante des représentations et des pratiques associées au temps nocturne ? La fermeture prolongée des bars et des restaurants, et plus encore des discothèques, a-t-elle engendré une transformation durable des pratiques ? Qu’en est-il par exemple du boom de l’organisation de festivités au domicile ? En quoi la crise sanitaire actuelle amène-t-elle à redéfinir le modèle économique du secteur des loisirs nocturnes et le dialogue social entre acteurs le structurant ? En quoi amène-t-elle à redéfinir les ressources valorisées pour rendre un territoire attractif ? Comment la crise sanitaire a-t-elle redéfini la place des loisirs nocturnes en ville et le traitement des espaces publics à la faveur du piéton ? En quoi les interactions sociales et, plus largement, les cultures urbaines nocturnes ont-elles muté ? En quoi la crise sanitaire actuelle amène-t-elle à redéfinir les modalités de l’action collective et le récit collectif liés au monde des loisirs nocturnes ? Surtout, ces évolutions sont-elles conjoncturelles ou ont-elles introduit des inflexions plus durables, voire renforcé des mutations en cours ?

 

Axe 3 : Le rôle de la gouvernance et des politiques publiques de la nuit dans la formation des inégalités nocturnes

 

Cet appel invite ensuite à s’interroger sur le rôle que peuvent jouer les autorités publiques et les acteurs privés (serveurs, gérants, brasseurs, médias, etc.) dans la définition des usages nocturnes et surtout dans la formation des inégalités nocturnes. Alors que la nuit a longtemps constitué une « dimension oubliée de la ville » (Gwiazdzinski, 2005) de nouvelles formes de gouvernance nocturne se développent désormais. Certaines recherches ont commencé à montrer la nature multiforme de ces nouvelles formes de gouvernance, souvent caractérisées par des ambitions et structurations variées (Spanu et Mokhnachi, 2018).

Il s’agira donc de poursuivre ces réflexions. Comment ces politiques agissent-elles sur les usages, pratiques sociales et usager.e.s des espaces nocturnes ? Quels acteurs sont impliqués (ou non) dans l’élaboration de ces politiques et comment négocient-ils entre eux dans l’élaboration de ces dernières ? Quels enjeux restent passés sous silence et quels en sont les impacts ? Comment sont mis en place les dispositifs de régulation en termes d’instruments matériels (textes et projets de loi, chartes…), financiers (subventions…) et symboliques (discours, campagnes d’information…) ?

Cependant, la nuit peut aussi être un temps d’organisations secrètes, de manifestations et débats, interrogeant la mise à l’agenda politique de cet objet et la mobilisation de citoyens. Quel ordre socio-politique est mis en place la nuit ? Quelle implication, dans le processus de prise de décision, de l’ensemble des acteurs impliqués et concernés par les transformations sociales ? Comment s’exprime l’action citoyenne de nuit ? Une attention sera aussi portée aux travaux portant sur le travail de mémoire de ces événements.

 

Axe 4 : La place de la nuit dans le processus de développement local

 

Historiquement perçue comme un espace et un temps dangereux, la nuit est aujourd’hui considérée par un nombre croissant de villes comme une opportunité et un outil de développement territorial. Elle est désormais souvent intégrée dans le cadre des politiques de développement économique (Roberts et al., 2006) ou touristique (Giordano et al., 2018), mais aussi lors de l’élaboration des projets urbains (Chausson, 2019 ; Guérin et al., 2021) et des projets d’urbanisme transitoire. Cependant, cette approche reste souvent partielle : la nuit est prise en compte dans un objectif de renforcement de l’attractivité des villes via une amélioration de l’esthétique nocturne ou un développement de l’animation nocturne (Mallet, 2020). Les chercheurs ont montré la façon dont cette intégration peu systématique et sectorielle de la nuit dans les politiques de développement et dans la production de l’espace urbain peut produire des formes d’inégalités et d’exclusions (Hadfield et al., 2009). Il s’agira donc de poursuivre ce questionnement. De quelle façon les collectivités intègrent-elles la nuit dans les politiques de développent urbain ? En quoi ces politiques favorisent-elles certaines pratiques et populations au détriment d’autres ? Comment la nuit est-elle prise en compte par les acteurs de la production urbaine ? Comment les transformations dans les pratiques d’aménagement de l’espace public modifient-elles les pratiques nocturnes ? En quoi l’absence d’intégration des enjeux nocturnes dans l’aménagement urbain produit-elle des effets inattendus et / ou pervers ?

 

Mots-clés : Nuit, espace urbain, rythmes, temporalités, inégalités, acteurs, usages, pratiques sociales, gouvernance, politiques publiques, représentations sociales, aménagement de l’espace

 

Modalités de proposition de communication :

 Les propositions de communications peuvent être rédigées en français ou en anglais. Elles comprendront un titre, les noms des auteurs et leurs affiliations, 5 mots-clefs, un résumé et une bibliographie, et ne dépassant pas 400 mots (bibliographie non comprise). Les personnes intéressées peuvent également proposer des posters. Les langues de communication seront le français et/ou l'anglais.

Les propositions sont à déposer en ligne (onglet "déposer un résumé") au plus tard le 20 mai30 mai 2022.

En cas de question, n’hésitez pas à écrire à l’adresse anr.smartnights@gmail.com

 

Bibliographie :

 Atkinson, T. (1998), Pauvreté et exclusion, Conseil d’Analyse Économique, Paris, La documentation Française, 139p.

Bailly, A. (dir.) (1997), Terres d’exclusions, terres d’espérances, Paris, Economica, 119p.

Boltanski, L. (2014), « Croissance des inégalités, effacement des classes sociales ? », inDubet, L. (dir.), Inégalités et justice sociale, Paris, La Découverte, p. 25-47.

Buford May, R. A. (2014), Urban Nightlife. Entertaining Race, Class, and Culture in Public Space, New Brunswick, New Jersey, London, Rutgers University Press, 224p.

Challéat, S. (2010), "Sauver la nuit" : empreinte lumineuse, urbanisme et gouvernance des territoires, Thèse de doctorat en géographie, Université de Bourgogne, Dijon.

Chatterton, P., Hollands, R. (2003), Urban nightscapes: youth cultures, pleasure spaces and corporate power, Londres et New-York, Routledge, 304p.

Chausson, N. (2019), Penser la "métropole nocturne" : entre tensions, risques et opportunités. Une première approche des nuits de la métropole lyonnaise à travers le concept de qualité de vie, Thèse de doctorat en géographie, Université Grenoble Alpes.

Deleuil, J.-M. (1994), Lyon la nuit. Lieux, pratiques et images, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 168p.

Deschamps, C. (2006), Le sexe et l’argent des trottoirs, Paris, Hachette, 238p.

Donzelot, J. (2009), La ville à trois vitesses, Paris, Éditions de la Villette, 112p.

Gaissad, L. (2020), Hommes en chasse. Chroniques territoriales d'une sexualité secrète, Paris, Presses Universitaires de Paris Nanterre, 184p.

Giordano, E., Nofre, J., Crozat, D. (2018), « La touristification de la vie nocturne : une nouvelle frontière pour la recherche sur la nuit urbaine », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne].

Guérin, F. (2018). « L’art de cohabiter à Chueca. La fabrique informelle du citadin nocturne. » InGuérin, F., Hernández González , E, Montandon A. (dir.) (2018), Cohabiter les nuits urbaines. Des significations de l’ombre aux régulations de l’investissement ordinaire des nuits, Paris, L’Harmattan 248p.

Guérin, F., Raphélis, M. de, Mallet S. (2021), « Night-time as a strategic referent for an intermediary city: between attractiveness and standardization of the uses », European Planning Studies [En ligne].

Gwiazdzinski, L. (2005), La nuit, dernière frontière de la ville, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 256p.

Hadfield, P., Lister, S., Traynor, P. (2009), « ‘This town’s a different town today’: Policing and regulating the night-time economy », Criminology & Criminal Justice, vol. 9, n° 4, p. 465–485.

Jeanmougin, H. (2018), « Vie nocturne animée : moteur ou frein à la gentrification ? Conflit d’usage et enjeux contradictoires dans le quartier de la Magione à Palerme », Bollettino della Società Geografica Italiana, vol. 14, n° 1-2, p. 231-240.

Mallet, S. (2020), Les dimensions temporelles de la fabrique urbaine, Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Lille.

Mathieu, N. (1997), « Pour une nouvelle approche spatiale de l’exclusion sociale », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne].

Melbin, M. (1978), « Night as frontier », American Sociological Review, vol. 43, n° 1, p. 3–22

Paquot, Th. (2000), « Le sentiment de la nuit urbaine aux XIXe et XXe siècles », Les Annales de la recherche urbaine, n° 87, p. 6-14.

Paugam, S. (dir.) (1996), L’Exclusion - L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 582p.

Raphélis, M. de (2022), Le côté obscur de la ville. Analyse de la production des espaces nocturnes dans les villes intermédiaires, Thèse de doctorat en géographie et aménagement, Université de Reims Champagne-Ardenne.

Roberts, M., Turner, C., Greenfield, S. et G. Osborn (2006), « A Continental Ambience? Lessons in Managing Alcohol-related Evening and Night-time Entertainment from Four European Capitals », Urban Studies, vol. 43, n° 7, p. 1105–1125.

Schwanen, T., van Aalst, I., Brands, J. et T. Timan (2012), « Rhythms of the night: spatiotemporal inequalities in the night-time economy », Environment and Planning, vol. 44, p. 2064–2085.

Spanu, M., Mokhnachi, Y. (2019), « La gouvernance de la vie nocturne au prisme du territoire : une approche exploratoire des conseils de la nuit à Paris et à Nantes », Bollettino della Società Geografica Italiana, vol. 14, n° 1-2, p. 241-251.

Steck, B. (1998), « L’exclusion ou le repli du territoire progressif », L’Information géographique, n° 2, p. 66-71.

 

 

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